Philippe Druez

– Oendergroend | Le Parlement des grenouilles 2023

Dans son installation Oendergroend (dialecte gantois pour métro), Philippe Druez renvoie de manière espiègle à l’univers mental de Bruno Latour. Le sous-titre de l’œuvre est en effet « Le Parlement des grenouilles », un clin d’œil au « Parlement des choses » de Latour dans lequel le non-humain a aussi voix au chapitre. De la place de Watou s’élève un étrange coassement de grenouilles qui désamplifie dès qu’on s’approche. On dirait que les grenouilles sont prisonnières d’une bouche de métro souterrain inondée. À travers la grille, cachée parmi les plantes aquatiques et les nénuphars, on peut apercevoir de temps en temps une grenouille. Dès qu’on s’éloigne, le concert reprend de plus belle.

Bien qu’on puisse trouver un lien avec le « METRO-Net » (1993) de Martin Kippenberger, le point de départ de Philippe Druez est tout à fait différent : il renvoie au système de transport public quasi inexistant depuis et vers Watou. Un sondage réalisé auprès des habitants a conduit

au « Túbe Koarte », un plan de métro avec les arrêts qu’ils aimeraient avoir.

Mais avec son parlement souterrain des grenouilles, l’artiste dénonce également le coassement sans fin des parlements humains, des Nations unies et des COP sur le climat. Ces dernières ne changent en effet quasiment rien au réchauffement de la Terre, à l’augmentation du niveau de la mer qu’il entraîne, aux mégatempêtes de plus en plus fréquentes ni à l’extinction de la faune et de la flore.

Bruno Latour fait le procès de la séparation de la nature et de la société. Pour lui, les hommes, les animaux et les choses coexistent et il apparaît aussi des formes hybrides dont font partie les systèmes d’IA nous aidant à résoudre des problèmes ou à créer. Les objets synthétiques ou prétendument biologiques et le coassement des grenouilles (créé à l’aide de synthétiseurs modulaires) jouent avec cette identité entre le vrai et le faux.

Les grenouilles suivent en direct les réunions de la Chambre des représentants, dont les discours politiques sont transformés en coassement par le biais d’un algorithme. La vraie réalité de l’installation soulève plusieurs questions, comme celle de notre besoin d’imiter la nature mais de la négliger en même temps.

Le problème de mobilité depuis et vers Watou n’en est pas résolu pour autant, mais il y a en tout cas matière à un vrai débat… ou brekekekèx-koàx-koáx, comme aurait dit Aristophane (le père de la comédie).

Ce projet a été réalisé en collaboration avec Made in Inox.

   & Tijl Nuyts      

   – État profond

– Les Cœurs Qui Soupirent (2023)

Pour cette installation, Philippe Druez est parti d’Anaximène, un philosophe grec de la nature qui avait affirmé que l’air était à l’origine de toute chose. Les forces naturelles agissent constamment sur l’air et le transforment en d’autres matières, desquelles proviennent le monde organisé et l’univers. Dans la littérature grecque antique, l’air est associé à l’âme, au souffle de vie. Anaximène pensait que l’air pouvait aussi être capable de contrôler sa propre matérialisation, tout comme l’âme contrôle le corps. L’artiste pose la question de savoir ce qui se passe quand on respire sans cesse en permanence des choses célestes.

La respiration est une fonction physiologique vitale qui permet l’apport d’oxygène et le rejet de dioxyde de carbone, mais l’action de respirer a également une importance pour le lien entre le corps et l’esprit. Chose intégrée dans des pratiques ancestrales depuis des siècles mais démontrée seulement récemment par des recherches scientifiques, les différents états émotionnels et cognitifs modifient l’intensité et la fréquence de la respiration. Les exercices de respiration du yoga apportent par exemple de la quiétude, améliorent l’attention, diminuent l’angoisse et augmentent la lucidité.

Les cinq sculptures « organo-mécaniques » se dilatent tout doucement et se recroquevillent à leur propre rythme, tel un groupe de gens, d’animaux ou d’androïdes générés par une IA qui sont détendus. Les mouvements asynchrones mais unis opèrent comme le son d’un ensemble de musiciens.

À l’intérieur des êtres, un système thoraci)que, à l’instar des poumons, souffle de l’air vers et depuis les poumons artificiels. Un système pneumatique, dirigé par un microcontrôleur, produit un mouvement respiratoire biorythmique tandis qu’une sorte de larynx crée un bruit de respiration qui est accentué. Des capteurs enregistrant la présence de visiteurs influent sur le réseau neuronal et les cycles respiratoires.

L’apparence hybride de ces « êtres pulmonaires », avec leur peau à l’aspect organique de différents animaux, oiseaux, poissons, mousses et écailles artificielles, est une représentation physique des formes de vie générées par l’IA. Philippe Druez pose la question de savoir si ces êtres multiples/non-êtres ont une âme et une conscience. Par le fait de respirer, ces choses synthétiques sont-elles devenues des êtres vivants et conscients ?

L’installation est pour lui un soupir de désir, une complainte, une expression de chagrin et de soucis. Le son naturel des respirations invite le visiteur à ralentir, à se replier involontairement sur lui-même et à écouter sa propre respiration.

   & Mustafa Kör  

   – Da capo

Basé à Gand, Philippe Druez a développé une pratique artistique non conventionnelle qui ne cesse de croître. Dans ses projets novateurs et expérimentaux, il explore la société, la communication, la psyché et l’individu au sein de notre tissu social et écologique. S’appuyant sur des recherches approfondies, les projets artistiques prennent une tournure scientifique et historique, ce qui confère aux œuvres, souvent poétiques, des couches et une profondeur supplémentaires.

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